HISTOIRE ET SCIENCE DU TAFSIR

Histoire et science du tafsîr

commentaire ou exégèse du Coran

Chapitre 1 Les étapes historiques du Tafsir

Du vivant du Prophète

Le tafsir, ou exégèse du Coran, a commencé du vivant du Prophète. En effet, un des rôles de celui-ci était précisément d’expliciter le Texte sacré, par les mots, mais aussi et surtout par les actes. Le Coran déclare à ce sujet :

« Nous avons fait descendre sur toi le Rappel pour que tu exposes clairement aux hommes ce qui a été révélé à leur intention. Peut-être réfléchiront-ils ! » (Coran 16, 44)

Néanmoins, on ne sait pas dans quelle mesure le Prophète passait du temps à gloser le Coran. Les textes directement explicatifs du Texte Sacré attribués au Prophète représentent en environ 5 pourcents de l’héritage textuel employé dans le tafsir. Mais la plus grande part de l’interprétation prophétique est indirecte : elle est diffuse dans les actions et les paroles de l’Envoyé de Dieu, c’est-à-dire le hadith.

Les textes des compagnons, représentent entre 25 et 30 pourcents de cette même littérature. Le reste est attribué à la génération succédant aux compagnons, « les successeurs » (tâbi‘în).

Il convient de signaler que de nombreux faits n’avaient pas besoin d’être expliqués du vivant du Prophète. Car les compagnons n’ignoraient pas le contexte général de la révélation, pas plus qu’ils n’ignoraient la langue arabe et l’essentiel du lexique coranique. Il n’est donc pas étonnant de ne pas retrouver de telles explications de la bouche de l’Envoyé de Dieu.

Celui-ci intervenait en revanche pour lever des ambiguïtés. A ce titre, un exemple célèbre est souvent mentionné. Il concerne le verset suivant : « Ceux qui croient et ne ternissent pas leur foi par de l’iniquité, ceux-là sont en sécurité et ils sont bien dirigés. » (Coran 6, 82) En entendant ce verset, certains croyants furent très affectés. Car qui peut prétendre ne commettre aucune injustice ? Le Prophète leur déclara pour préciser le sens du texte : « N’avez-vous pas lu la déclaration de Luqman, « En vérité, l’associationnisme est une grande iniquité ?» (Coran 31, 13)

Il convient ici d’indiquer que la démarche des compagnons, dans l’apprentissage du Coran, ne se limitait pas à mémoriser le texte, ni même à se renseigner sur son sens. Il s’agissait pour eux de mettre en pratique ce qu’ils apprenaient avant d’aller plus loin.

As-Sulami (m. 75 AH), un des commentateurs du Coran, rapporte à ce sujet : « Les compagnons du Prophète nous ont informé qu’ils allaient s’instruire du texte auprès de l’Envoyé de Dieu, et qu’ils n’excédaient pas [la mémorisation] de dix versets avant de savoir ce que ceux-ci comportaient en terme de science et de mise en pratique. » Nous avons ainsi appris le Coran conjointement à la science et à l’action. »

L’époque des Compagnons

Comme nous l’avons dit, les compagnons du Prophètes avaient deux prérequis importants à la compréhension du Coran: la langue arabe et le contexte de la révélation. Ces deux sources de connaissance avaient néanmoins leur limite. Disons d’abord un mot sur la langue arabe.

La langue arabe

Un récit célèbre raconte que ‘Umar Ibn al-Khattâb lut un jour un passage du Coran et fit remarquer qu’il ne comprenait pas le mot abb (pâturage ou herbage). On peut imaginer que si ‘Umar, qui était de la tribu de Quraysh tout comme le Prophète (S), ne comprenait pas un mot, c’était d’autant plus possible de la part de personnes d’autres tributs. Car on sait que les parlés divergeaient. 

Même remarque concernant un récit célèbre au sujet d’Ibn ‘Abbâs, connu pour sa bonne compréhension du Texte sacré. Celui-ci ne connaissait pas le sens du terme fâtir (créateur) jusqu’à ce qu’il voie deux bédouins l’employer en contexte.

Le contexte de la révélation

Une remarque semblable peut être faite sur le contexte de la révélation. Les compagnons de la « première heure » étaient à l’évidence mieux informés des événements liés au texte coranique que les convertis tardifs. Puis les personnes du proche entourage du Prophète, comme ‘Alî, ‘A’isha, Abû Bakr, étaient les témoins privilégiés de la genèse du Texte sacré.

La compréhension du texte

Les compagnons n’avaient pas tous le même degré de connaissance, d’expérience de la vie ou d’intelligence. L’un d’eux entendit un jour le passage coranique « Mangez et buvez jusqu’à ce que le fil blanc et le fil noir de l’aube soient distincts. » (Coran 2, 187) Il prit alors un fil blanc et un fil noir pour guetter le début du jeune. C’est le Prophète (S) lui-même qui se chargea de lui expliquer qu’il s’agissait des traits que l’on voit à l’horizon. 

L’interprétation du Coran par les compagnons

Un fait important est que les compagnons interprétaient le Coran du vivant même du Prophète, et que celui-ci ne s’y opposait pas, même s’ils leur signalaient leur erreur le cas échéant. Voici un exemple célèbre.

Le Prophète avait envoyé ‘Amr Ibn Al-‘As en expédition. Par un matin extrêmement froid, il se leva en état d’impureté nécessitant de faire ses grandes ablutions. Il raconte : « Je craignis de concourir à ma perte en me lavant. Je décidai donc de pratiquer l’ablution à sec. Je me levai ensuite et dirigeait la prière de l’aube avec mes compagnons. Quand nous arrivâmes à la Mecque, je rapportai ce fait au Prophète. Il m’interpela : « Tu as dirigé la prière de tes compagnons en état de grande impureté ? » – « Oui, répondis-je, j’ai fait un rêve avec écoulement durant une nuit extrêmement froide et j’ai craint pour ma personne à l’idée de me laver à grande eau ! Et je me suis souvenu de la parole de Dieu : « Ne causez pas votre propre perte, Dieu est miséricordieux à votre égard. » (Coran 4, 29) Alors, j’ai fait mon ablution à sec, puis j’ai prié. » L’Envoyé de Dieu ria et ne commenta pas.

On rapporte peu de texte d’interprétation des quatre califes, exception faite de ‘Ali. Le fait est que les trois premiers sont morts relativement tôt et que la connaissance du texte était encore très répandue. C’est ce qu’indique Al-Suyûtî : « Dix personnes sont connues pour leur science en matière de tafsîr parmi les compagnons : les quatre califes bien guidés, Abd Allah Ibn Mas‘ûd, Abd Allah Ibn ‘Abbas, Ubay Ibn Ka‘ab, Zayd Ibn Thâbit, Abû Mûsa al-Ash‘âri et ‘Abd Allah Ibn Zubayr… » (Tafsîr al Jalalayn, 239)

Al-Suyûtî omet de mentionner notamment Anas Ibn Mâlik et ‘Aisha.

En matière d’exégèse coranique, le plus célèbre compagnon est sans conteste Ibn ‘Abbâs. Abd Allah Ibn Umar déclara à son sujet : « Ibn ‘Abbâs est le plus instruit de toute cette communauté quant à la révélation faite au prophète Muhammad. » De fait, le Prophète lui-même invoqua pour Ibn ‘Abbas en ces termes : « Ô mon Dieu, Accorde-lui la connaissance du Livre et la Sagesse. » Dans une autre version mentionnée par Al-Bukhârî, il déclare : « Ô mon Dieu, Accorde-lui la connaissance de la religion et de l’interprétation. » (Al-Bukhari)

Ce célèbre commentateur disait du Coran : « L’exégèse du Coran revêt quatre aspects : l’un connu des arabes à travers la langue ; l’autre que nul n’a de bonne raison de ne pas connaitre ; l’autre que ne connaissent que les savants ; et l’autre enfin que ne connait que Dieu. »

Dans sa jeunesse, Ibn ‘Abbâs avait l’habitude d’accompagner le Prophète. Il était son cousin, et sa tante, Maymûna, était l’épouse de l’Envoyé de Dieu.

Il était tenu en haute estime par les compagnons en dépit de son jeune âge (il n’avait que treize ans lorsque le prophète est mort). En raison sans doute de sa maturité et de sa sagesse précoce, Umar le laissait même assister aux réunions des anciens compagnons.

Un autre nom important est celui de ‘Abd Allah Ibn Mas‘ûd. Celui-ci était l’un des tout premiers convertis à l’islam. Il est selon certain le sixième compagnon du Prophète chronologiquement. Il fut aussi le premier à réciter le Coran publiquement après le Prophète. N’ayant pas la protection d’un clan, cela lui valut de se faire rouer de coups. Il fut plus tard un des scribes de l’Envoyé de Dieu. Du fait de ce compagnonnage précoce et assidu du Prophète, il avait une grande connaissance du Coran. Il déclara lui-même un jour : « Par Celui en dehors de qui il n’est point de dieu, il n’est de sourate du Livre de Dieu dont je ne sache le lieu de révélation ; et il n’est de verset dont je ne connaisse la cause de la révélation. Si j’étais informé qu’il est sur terre quelqu’un de plus instruit du Coran que moi en un lieu accessible en chameau, j’irais à lui. »

Les récits d’Ibn ‘Abbâs, ainsi que ceux d’Ibn Mas‘ûd, Ali Ibn Abî Tâlib et Ubay Ibn Ka’ab, sont les plus nombreux de la littérature du tafsîr. Chacun d’eux a légué des centres d’apprentissage et formé de nombreuses personnes.

L’époque des successeurs (tâbi‘în)

La génération suivant les compagnons ajouta son lègue d’interprétation au patrimoine musulman.

Après la mort du prophète, les compagnons se répandirent dans différentes villes. Historiquement, trois villes devinrent des centres d’apprentissage du Tafsîr : La Mecque, Médine et Kufa.

À La Mecque, où Ibn ‘Abbas avait enseigné, les élèves de celui-ci devinrent les savants de la région. Ce fut le cas de ‘Ikrimah (m. 104 AH), de Tâwûs (m. 106 AH) et de ‘Ata Ibn Rabah (m. 114 AH).

À Médine, ‘Ubay ibn Ka‘ab transmit le flambeau à Abu al-‘Aliya (m. 90 AH), Muhammad Ibn Ka‘ab al-Quradiy (m. 118 AH) et Zayd Ibn Aslam (m. 136 AH).

À Kufa, Ibn Mas‘ûd transmit le flambeau à ‘Alqama Ibn Qays (m. 61 AH), Masrûq Ibn ajda» (m. 63 AH) et à al-Aswad Ibn Yazîd (m. 74 AH). Les autres successeurs de Kufa, connus pour leur connaissance du tafsîr, étaient : ‘Amir al-Sha‘bî (m. 109 AH), Qatâda al-Sadûsî (m. 117 AH), et al-Hasan al-Basri (m. 110 AH)

Ce dernier fait partie des plus éminents successeurs. Il est né à Médine, en 642, sous le califat de ‘Umar Ibn al-Khattâb. Il transmit plus de 1 400 hadiths dans neuf recueils. Ses élèves étaient si pieux et si ascètes qu’ils créèrent des centres de dévotions à Bassora qui firent la renommée de cette ville. Ibn Taymiyya considère même que ce fut le berceau du soufisme.

Au cours de cette période, des récits issus de la tradition judéo-chrétienne (les fameuses isrâ’iliyâtes) furent introduites massivement dans le tafsîr. Ces récits provenaient de chrétiens et juifs ayant embrassé l’islam, comme ‘Abd Allah Ibn Salam, Ka‘b al-Ahbar, Wahb Ibn Munabbih et Abd al-Malik Ibn Jurayj. Les récits bibliques évoqués parfois de manières très elliptiques dans le Coran pouvaient en effet être expliqués par la bible. Ce qui sembla donner caution à de nombreux autres récits de provenances variées.

C’est aussi l’époque où les hadiths apocryphes apparurent en masse, en raison des conflits politiques.

L’époque des compilations

L’étape suivante de l’histoire du tafsir est appelée période de la compilation.

Les travaux les plus importants de cette époque furent réalisés par des savants en Hadith, lesquels avaient dans leurs ouvrages des sections sur le tafsîr. Les grands noms de cette époque sont Yazid Ibn Harûn as-Sulami (m. 117 AH), Sufyân al-Thawri (m. 161 AH), Sufyan Ibn ‘Uyaynna (m. 198 AH), ainsi que Waki‘ Ibn al-Jarrâh (m. 197 AH), Shu‘ba Ibn al-Hajjâj (m. 160 AH), Adam Ibn Abî Iyâs (m. 220 AH) et ‘Abd Ibn Humayd (m. 249 AH). Peu de ces œuvres a survécu jusqu’à nos jours.

Peu à peu la littérature du tafsîr s’est séparée de celle du hadîth et est devenue indépendante. Puis les tafsîrs complets sont apparus.

Les manuscrits écrits au cours du premier siècle de l’hégire ayant disparus, il est difficile de dire qui est le premier à avoir écrit un commentaire du Coran complet.

L’un des plus grands classiques disponibles est le tafsîr de Muhammad Ibn Jarîr al-Tabari (m. 310A.H.). Bien que fortement basé sur les récits, celui-ci aborde également l’analyse grammaticale, les différentes récitations et leur signification. L’auteur, donne également parfois son avis personnel, surtout pour trancher entre des avis précités. À bien des égards, il peut être considéré comme le premier commentaire à tenter de couvrir tous les aspects d’un verset. D’autres tafsirs suivirent rapidement, en particulier ceux d’Abû Bakr Ibn Mundhir al-Naysapurî (m. 318 AH), Ibn Abî Hâtim (m. 327 AH), Abû Shaykh Ibn Hibbân (m.369 AH), Al-Hakim (m. 405 AH) et Abu Bakr Ibn Mardawayh (m. 410 AH).

Peu à peu, des tafsîrs plus spécialisés sont apparus : certains mettant l’accents sur la grammaire, d’autre sur la jurisprudence, d’autres sur la mystique. Les Tafsîrs sont aussi devenus confessionnels, sunnites, shiites, mutazilites, etc.

Deux grandes tendances se sont dessinées : celle du tafsîr par les textes, avec par exemple l’illustre Ibn Kathir (m.774 AH) et celle du tafsîr fondé sur l’avis personnel, avec l’illustre Fakhr Al-Dîn Al-Razî (m. 606 AH). Cette deuxième forme de hadith se fonde sur l’usage des sciences de manière plus large : la logique, la rhétorique, l’astronomie, la théologie discursive. Les exégètes comme Râzî étaient des savants pluridisciplinaires.

En réalité, ces deux approches ne peuvent être complètement séparées. Car la seconde fait, malgré tout, grandement usage des textes, et la première, dans sa nécessité de croiser les textes, de les exploiter quand ils ne sont pas explicites, ou d’arbitrer entre eux lorsqu’ils sont contradictoires, a également recours à l’avis personnel. Il s’agit donc plus de proportion dans l’usage de l’un et de l’autre.

Les tafsîrs shiites

D’un point de vue shiite, la première source d’interprétation du Coran (outre le Coran lui-même) est la même que celle des sunnites, à savoir, le hadith.

A leurs yeux, les compagnons ne sont pas des sources d’interprétation. En revanche, ils considèrent la famille du Prophète, ainsi que les Imams (7 ou 12 selon l’école), comme des sources infaillibles au même titre que le Prophète.

Ils se basent en cela notamment sur le très célèbre hadith « des deux charges » (Al-thaqalayn), lequel dit essentiellement ceci : « J’ai laissé parmi vous deux charges : le Livre de Dieu, et les membres de ma famille. » C’est un hadith rapporté selon de nombreuses chaines de transmetteurs (mutwâtir). Il existe dans de nombreuses versions, plus ou moins longues et plus ou moins fiables.

L’époque des premiers recueils de textes

La première étape de la genèse des tafsirs shiites a consisté en la compilation de textes attribués au Prophète et aux imams. Les recueils de textes les plus anciens ont été établis par des compagnons des Imams, et notamment l’Imam Bâqir, l’Imam Sâdiq ou l’Imam Kâzim. C’est souvent à travers de tels textes que les questions politiques sont abordées dans l’éxégèse. De nombreux passages du Coran sont alors vus comme autant d’allusions de la légitimité de ‘Alî comme successeur du Prophète, ou des Ahl Al-Bayt au sens large comme héritiers de l’enseignement spirituel. C’est également sur ces matériaux textuels que l’ésotérisme Shiite s’est construit. Selon Amir Moezzi, « Le shiisme pré-buwayhide, si on le juge d’après ses plus anciennes sources parvenues jusqu’à nous est d’une nature profondément marquée par des enseignements de type initiatique, ésotérique, mystique voire magique. C’est ce qui ressort en effet des recueils de traditions de grands compilateurs du IIIe /IXe et de la première moitié du IVe /Xe siècle comme les imamites al-Barqî (m. 274/887-88 ou 280/893-94), al-Sâffâr al-Qummî  (m. 290/902-03), al-Kulaynî  (m. 329/941) ou encore l’ismaélien al-Qâdî al-Nu‘maîn (m. 363/974) 2. 

A partir du Xème siècle la situation tend à changer. La première raison réside en l’avènement de certaines dynasties shiites. La première est celle des Bouyides qui règne en Perse et une partie de l’Irak de 945 à 1055. La dynastie califale chiite ismaélienne des Fatimides entame également son règne 909 et jusqu’en 1171, depuis l’Afrique du Nord puis en Egypte. Or ces dynasties bâtissent de fait un shiisme d’état nécessitant un plus grand control de la religion s’accommodant mal du mysticisme. L’élan rationaliste marquant le monde islamique en général déteint sur le shiisme et renforce cette tendance. C’est aussi l’époque d’occultation du dernier imam chez les shiites duodécimains. En effet, selon la tradition, celui-ci disparaît en 329/941.

Amir Moezzi dit à ce sujet : « La combinaison de ces raisons historiques, politiques et religieuses aboutit, entre autres, à l’avènement d’une nouvelle classe de juristes-théologiens duodécimains, gravitant autour des princes buwayhides et cherchant à justifier leur règne. Le calife abbasside sunnite étant toujours en place et les sunnites encore largement majoritaires, ces savants ressentent un pressant besoin de légitimité et de respectabilité, et commencent à prendre une distance critique par rapport à leurs prédécesseurs appartenant à la « tradition originelle ésotérique et non-rationnelle ». C’est le début du développement, au sein du shi’isme duodécimain, de la nouvelle tradition « théologico-juridique rationaliste » qui va devenir désormais dominante et majoritaire, poussant dans l’isolement la tradition ésotérique primitive. En ce qui concerne la littérature exégétique, le monumental commentaire d’al-Shaykh al-Tûsî (385-460/995-1067), brillant représentant de cette nouvelle tradition, al-Tibyân fî tafsîr al-Qur’ân, marque de manière fort représentative ce tournant. Il s’agit, selon toute probabilité, du premier commentaire de la totalité des versets coraniques où les spécificités shi’ites sont presque totalement gommées, édulcorées, voire noyées dans des exégèses de type grammatical, lexicologique, théologique et juridique. »

L’époque des premiers compilateurs

Faisons remarquer que les textes des références shiites sont répartis sur une période beaucoup plus longue que celle des sunnites, car elle s’étend de l’époque du prophète jusqu’à celle des derniers Imams (le dernier duodécimain Imam étant mort vers l’an 250 de l’hégire). Par ailleurs, généralement, peu d’importance est donnée par les commentateurs shiites aux chaines de transmetteurs.

La démarche de ces auteurs est comparable à celle des premiers commentateurs sunnites : ils se basaient sur les textes rapportés par leurs successeurs sans donner leur avis.

L’époque des tafsîrs spécialisés

Comme dans le monde sunnite, les tafsirs shiites se sont ensuite spécialisés pour se concentrer sur certains aspects. Des tafsir pluridisciplinaires ont également été rédigés par de grands savants. Après la période de « rationalisation » de ces tafsirs, l’écart c’est amenuisé entre leurs équivalents sunnites. Seule la part politique, relative aux questions de succession et à la légitimité spirituelle de la famille du Prophète, est resté un gros point de divergence.

L’époque moderne

De nos jours, le tafsîr continue son évolution, tentant de répondre aux exigences de l’époque. (A suivre)

Chapitre 2 la science du tafsîr

Le Coran texte explicite ?

Le Texte révélé déclare : « Nous avons envoyé à toi des versets clairs. » (Coran 2, 99)

 « Nous avons facilité le Coran pour le souvenir. »  (Coran 54,22) ; « Nous l’avons rendu facile par ta langue pour que tu annonces la bonne nouvelle aux gens de scrupule. » (muttaqîn) (Coran 19,97) 

Avant d’aborder la science du tafsir, il convient de dire un mot sur la nécessité même du tafsîr. En effet, si le Texte Sacré est « clair » et « explicite », a-t-on besoin d’interprètes, et donc d’intermédiaires, pour y accéder.

A cet égard, il convient d’abord de distinguer l’essentiel des verset explicites des versets équivoques. Le Coran dit en effet : « Il est Celui qui a fait descendre sur toi le Livre, [en son sein se trouvent] des versets explicites, lesquels sont la matrice du Livre, d’autres sont équivoques. Quant à ceux qui ont dans leur cœur une déviance, ils en suivent la part équivoque, aspirant à causer le trouble et l’interpréter. Mais ne connait son interprétation que Dieu et les gens enracinés dans la science, de déclarer : « nous y croyons, le tout vient de notre Seigneur ». Et ne se souviennent que les êtres doués de raison. » (Coran 3, 7) Ainsi, si l’essentiel est clair, il reste une part que ne connait que Dieu, ou les gens enracinés dans la science, selon la compréhension du passage coranique ci-dessus, lequel peut être compris précisément de deux manières. Je rendrais ici ces deux compréhensions par deux traductions : « Mais ne connait son interprétation que Dieu. Et les gens enracinés dans la science déclarent : « nous y croyons, le tout vient de notre Seigneur. » ou bien : « Mais ne connait son interprétation que Dieu et les gens enracinés dans la science, lesquels déclarent : « nous y croyons, le tout vient de notre Seigneur. »

La seconde remarque est que simplicité ne veux pas nécessairement dire facilité et absence de composition. Le Vrai (al-Haqq) est au contraire « l’Infiniment riche » (Al-Ghanî) et « Le Subtil » (Al-Latîf). Celui qui est l’Apparent (Al-Zâhir) est en même temps celui qui est le Caché (al-Bâtin). Puis, une réalité peut être claire en elle-même, mais non perçue, ou difficilement perceptible, car le regard est troublé. Le Texte coranique dit en effet : « Non, mais ce sont des versets clairs, dans les poitrines de ceux à qui la science a été donnée. » (Coran 29, 49) La science est ici associé au cœur. Là, intervient le prisme de l’égo, miroir déformant, ou cristal diffractant la lumière. Le terme ta’wîl, traduit par interprétation dans les versets cités vient de la racine A W L, laquelle désigne l’origine, la prémices d’une chose, le premier etc. Le ta’wîl signifie ainsi ramener à l’origine première. Revenir à cette origine nécessite de purifier l’âme et d’éclaircir sa vue. C’est ainsi que le Coran annonce qu’au jour du Jugement il déclarera à l’Homme « Tu étais insouciant à l’égard de cela. Et nous avons dissipé ton voile, si bien que ton regard est perçant en ce jour ! »  (Coran 50,22) Selon cette perspective, le rappel est clair dans son essence, mais « Ce ne sont pas les regards qui s’aveuglent, mais les cœurs, lesquels [logent] dans les poitrines. » (Coran 22,46)

Interprétation du Coran par le Coran

Il s’agit d’une source importante et inépuisable, à tel point que les commentateurs de toutes les générations ont des apports en la matière. Les liens intratextes sont en effet, pour ainsi dire, infinis. Ces liens sont également plus ou moins subtils et pourront parfois faire l’objet de divergences dans leur pertinence.

Il n’est jamais inutile de rappeler combien le contexte des versets est important dans la compréhension de ceux-ci. Lisons par exemple le verset suivant isolément :

« Quiconque souhaite adopter une autre religion que l’Islam se verra refuser [ce choix] et sera dans l’ultime demeure au nombre des perdants. »  (Coran 3, 85)

Le sens semble explicite. Mais si nous relisons ce verset après celui qui le précède, une vision plus large apparaît :

« Dis-leur : Nous avons foi en Dieu, en ce qui nous a été révélé et en ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaïl à Isaac, à Jacob et aux tributs [d’Israël] ; et aussi à ce qui a été révélé de la part de leur Seigneur à Moïse, à Jésus et aux prophètes. Nous ne faisons aucunement de différence entre eux, et c’est à Lui que nous sommes soumis (muslimûn). » (Coran 3, 84).

Et si on remonte encore plus haut dans cette sourate, voilà ce que l’on trouve :

« Abraham n’était ni Juif ni chrétien, mais il était un pur monothéiste soumis (hanîfan musliman), et n’était pas d’entre les associateurs. » (Coran 3, 67).

La notion de muslim (musulman) prend alors un sens plus large en rapport avec ce que le Coran lui-même appelle la « religion immuable » ou « religion droite » (dîn qayyim).

L’exégèse interne du Coran est de différentes natures :

1- Explication de l’allusif par l’explicite ou du résumé par le détaillé.

A titre d’exemple, le verset « Le chemin de ceux que tu as comblé de bienfaits. » (Coran 1, 7) est explicité par le verset : « …ceux-là sont ceux que tu as comblés de bienfaits, des prophètes de véridiques, des martyres, des vertueux… » (Coran 4, 69). C’est également le cas de nombreux passages où un récit est évoqué de manière synthétique, et que ce récit est relaté en détail ailleurs. 

2- Limitation du général par le restrictif ou de l’inconditionnel par le conditionnel.

Par exemple, le verset « …avant que ne vienne un jour où il n’y aura ni amitié ni intercession… » (Coran 2, 254), est nuancé par les deux autres versets suivants : « Ce jour-là, les amis seront ennemis, sauf les gens de piété. » (Coran 43, 67) ; « Ce jour-là intercession sera inutile sauf pour ceux à qui le miséricordieux l’autorisera… » (Coran 20, 109)

3- La dissipation des paradoxes

En tant qu’Il est l’Un et l’Unique, Dieu rassemble les contraires et concilie ce qui est intellectuellement paradoxal. Il dit ainsi dans un même verset « Il est l’Apparent et le Caché » (ou l’Extérieur et l’Intérieur : Zâhir wa Bâtin) (Coran 57,3). Il dit par ailleurs « Où que vous vous tourniez est le visage de Dieu. »  (Coran 2,115) Et Il dit en parallèle : « Les regards ne sauraient l’appréhender. » (Coran 6,103). Il déclare dans un verset : « Si un bien leur échoit, ils disent : » Cela vient de Dieu ! » Si un malheur leur échoit, ils disent : » Cela vient de toi [ô Muhammad] ! » Dis : « Tout vient de Dieu ! » [Coran 4,78], puis Il déclare dans le verset suivant : « Tout bien qui t’échoit vient de Dieu, et tout mal qui t’échoit vient de toi-même. « (Coran 4, 79). Il dit également dans un même verset : « Chose n’est semblable à Lui, et Il est l’Oyant et le Voyant. » (Coran 42, 11) englobant par ces mots les visions contradictoires sur la question des attributs divins.

4- Les différentes lectures du Coran

Les différentes lectures du Coran s’éclairent parfois les unes les autres ou étayent des interprétations. Un verset coranique dit par exemple : « Le jour où les jambes seront découvertes. » (Coran 68, 42) Il s’agit d’une image qui signifie selon l’interprétation la plus vraisemblable : le jour où on prendra les affaires en main sérieusement, un peu comme l’expression « retrousser les manches »  Les interprétations divergent quant à l’appartenance des jambe. Une des lectures précise : « Le jour où Nous découvrirons les jambes. » Ce qui évoque les jambes de Dieu.

Les lectures les plus connues évoquent dans un verset une « demeure d’apparat » (Coran 17,93). La lecture d’Ibn Mas’ûd précise : « Une demeure d’or ».

5- L’abrogation ?

L’abrogation est un sujet très sensible, car elle touche à la notion de permanence ou d’intemporalité du Coran. Si un certain nombre de prescriptions coraniques s’inscrivent de manière évidente dans une temporalité, comme l’orientation de la prière, laquelle a été transférée de Jérusalem vers la Mecque, qu’en est-il notamment des lois ? Comment doit-on comprendre le verset « Ceux qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a fait descendre, ceux-là sont les pervers. » (Coran 5, 47) Là encore, il faut se rappeler que le contexte coranique est important. En effet, la suite du texte révèle que les choses ne sont pas si simples : « Et sur toi (Muhammad) Nous avons fait descendre le Livre avec la vérité, pour confirmer le Livre qui était là avant lui et pour le préserver (ou l’observer). Juge donc parmi eux d’après ce que Dieu a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t’est venue. A chacun de vous Nous avons assigné une voie et une ligne de conduite. Si Dieu avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes œuvres. C’est vers Dieu qu’est votre retour à tous ; alors Il vous informera de ce en quoi vous divergiez. » (Coran 5, 48) On comprend par ce passage que les lois ne s’inscrivent pas dans l’intemporalité. Elles sont donc susceptibles d’abrogation.

Un verset coranique déclare ainsi : « Dieu efface ce qu’Il veut ou maintient. » (Coran 13, 39) Ce qu’Ibn ‘Abbâs interprète ainsi : « Dieu change ou conserve du Coran ce qu’Il veut. » Un autre passage précise : « Nous n’abrogeons de signe (ou verset), ou ne le faisons oublier, sans en apporter de meilleur ou de semblable. » (Coran 2, 106).

Ibn Kathir, le grand exégète, commente : « Dieu prescrit ce qu’Il veut : Il peut interdire une chose aujourd’hui et la permettre le lendemain, selon l’intérêt des serviteurs tel qu’Il le connait en sa prescience éternelle. »

La notion d’abrogation ou d’effacement (naskh) est presque unanimement reconnue par les penseurs musulmans sunnites autant que shiites. Les penseurs soutenant l’avis contraire se fondent notamment sur les versets coraniques suivants : « Nul changement à la parole de Dieu. » (Coran 10,64) ; « Le faux (ou l’erreur) ne vient à lui, ni par devant ni par derrière (ou ni avant, ni après) : c’est une révélation émanant d’un Sage, Digne de louange. » (Coran 41, 42) De leur point de vue, les versets dit « abrogés » (mansukh) dans le Coran, concernent les livres précédant, c’est à dire la Thora et les Évangiles. Comme le terme mansukh peut également signifier « recopier », certains affirment que ce terme fait référence à la retranscription de la « Matrice du Livre » (ummu l-kitâb), depuis la Table gardée (lawh mahfûz) vers le Texte coranique historique.

Certains penseurs modernes préfèrent parler de progressivité dans les révélations. Il ne s’agirait donc pas d’abrogation mais de déroulement d’un programme suivant l’évolution des êtres.

Si la notion d’abrogation fait quasiment l’unanimité, en revanche, le recensement des versets concernés fait l’objet de davantage de dissensions. Certains savants en comptent quelques dizaines, d’autres quelques centaines. Car là où les uns voient une abrogation, les autres voient une simple complémentarité. Puis, s’il y a réellement contradiction, il convient encore de déterminer l’ordre de révélation afin de distinguer l’abrogeant de l’abrogé. C’est à dire de préciser lequel des deux versets annule l’autre. Or, on ne sait pas même dire avec certitude quelle est la première sourate révélée, pas plus que la dernière. En la matière, les exégètes ont donc recours au hadith, avec tous les problèmes que cela pose. L’abrogation a donné naissance à une science à part entière. Car les enjeux sont grands. Des voix extrêmes n’hésitent pas à annoncer que quiconque ne connait pas l’abrogeant de l’abrogé, ne devrait pas lire le Coran ! Mais des savants plus mesurés, concèdent qu’il est très difficile de nourrir des certitudes sur la question en raison des nombreuses divergences.

L’interprétation du Coran par l’exemple

Cette source d’interprétation, bien qu’essentiel est souvent omise. L’exemple vivant du prophète constituait en effet la forme la plus synthétique et la plus pure d’interprétation aux yeux des croyants. La célèbre parole rapportée de ‘A’isha dit en effet que « Sa complexion était le Coran ». L’Envoyé de Dieu était ainsi conforme au message qu’il portait, dans toute la subtilité de sa dynamique. Cette source ne fut accessible qu’à ceux qui le côtoyèrent. Néanmoins, le Coran enjoint les hommes de cultiver la compagnie des gens sincères comme prolongement de cette source : « Ô vous qui croyez, soyez dans le scrupule vis-à-vis de Dieu, et Soyez avec les sincères. » (Coran 9, 119). C’est ainsi que la compagnie des personnes de sainteté, et des gens bienveillants en général, a toujours été une priorité dans l’éducation de l’islam traditionnel, qu’il soit sunnite, shiite ou ibadite.

L’interprétation du Coran par le hadîth

Le Coran déclare au Prophète : « Nous avons fait descendre vers toi le Rappel pour que tu explicite aux gens ce qui a été descendu vers eux, peut-être réfléchiront-ils. » (Coran 16,44) Un des rôles de l’Envoyé était donc d’expliquer le Coran. Il est extrêmement difficile néanmoins de savoir dans quelle mesure le prophète se consacrait à commenter la révélation. Certains savants penchent pour dire qu’il glosait tout le Texte sacré ; d’autres sont d’avis qu’il n’en commentait qu’une petite partie quand nécessaire.

On trouve dans les tafsîrs des textes de hadith commentant directement le Coran. Dans les commentaires de la sourate al-Qalam, par exemple, un hadith dit ceci : « D’après Abû Hurayra, le Prophète a dit un jour : « En premier lieu, Dieu créa le Calame, puis Il créa le Nûn, lequel est l’encrier. Ce qui correspond à la parole du Très Haut : « Nûn et le Calame… » (Coran 68, 1) Puis il ordonna au Calame d’écrire. Celui-ci demanda : « que dois-je écrire ? » – « Écris ce qui a été et ce qui sera jusqu’au Jour du Jugement en fait d’action, d’échéance, de lot ou de conséquences des œuvres. » Ensuite, la pointe du Calame fut scellée, si bien que celui-ci ne s’exprima plus et qu’il ne s’exprimera plus jusqu’au Jour du Jugement. […] » (voir Tafsir Qurtubî notamment)

On rapporte aussi que le Prophète commenta le verset « Il leur assigna la parole de piété. » (Coran 48, 26) en précisant qu’il s’agissait de « Il n’est de dieu que Dieu ».

Cependant, les savants considèrent qu’un grand nombre de hadith forgés se sont introduits dans l’interprétation, à tel point que l’Imam Ahmed aurait déclaré un jour : « trois [sciences] sont sans fondement : l’exégèse du Coran, les épopées, et les récits de batailles du Prophète. » Il serait excessif d’imaginer le Prophète se taire totalement sur l’interprétation du Coran. Mais d’autre part, si l’on considère que les profondeurs du texte recèlent des sciences inépuisables, il aurait été vain d’attendre du Messager de Dieu une exégèse exhaustive de la révélation. Najm al-Dîn Kubra dit dans son commentaire du Coran au sujet des lettres isolées que l’on trouve au début de certaines sourates :« […] Si les lettres isolées [du Coran] étaient assemblées à l’infini, cela n’épuiserait en rien la Parole de Dieu. Et la sphère d’expression de ces lettres ne saurait être trop étroite pour contenir l’océan du Verbe éternel. Il est notoire, selon un avis unanime, que les lettres isolées se distinguent des lettres contingentes. En effet, les mots composés de lettres contingentes sont limités, tandis que la sémantique spirituelle (Ma‘ânî) relevant des lettres prééternelles est infinie et illimitée. Le Très Haut déclare ainsi : « Dis : si la mer était encre fournissant les paroles de mon Seigneur, la mer s’épuiserait avant que ne s’épuisent les paroles de mon Seigneur, même si on y apportait encore quantité d’encre équivalent. » (Coran 18, 109)

Un verset Coranique déclare par ailleurs : « Aux bienfaiteurs la meilleure [récompense] et davantage. »  (Coran 10, 26) Dans un hadith classé authentique pat Muslim, le prophète précise que « davantage » signifie le privilège de contempler le visage de Dieu.

Le culte

S’il est vrai que le Coran se suffit souvent à lui-même en matière de foi, il est également vrai que le Texte sacré est très allusif sur ce qui concerne le culte notamment. Il est donc indispensable à l’islam dans sa forme historique (non en tant que religion immuable) d’être éclairé par la sunna. 

Relativement au culte, ce recours au hadith ne suscite pas beaucoup de divergences, car il s’agit généralement de ce que l’on appelle la sunna ‘amaliya, c’est à dire les actes du Prophètes, lesquels ont été suivit par une multitude de compagnons, et sont donc qualifiés de mutawâtir (rapporté par des chaines de transition multiples). L’exemple prophétique en matière de culte a ainsi été véhiculé jusqu’à nous de manière indubitable aux yeux des savants musulmans. C’est le cas pour la prière. Car si le Coran la mentionne de manière répétée, il n’en précise ni le nombre, ni la manière. C’est donc à travers la tradition transmise par l’exemple des générations successives et un grand nombre de textes, que la prière est précisée. Seuls quelques points de détails font exceptions, comme la façon de placer les mains. Ce qui du reste n’était pas un vrai problème, car les différentes écoles toléraient généralement les divergences en la matière.

L’aumône légale (zakât), le jeûne du mois de Ramadan (sawm Ramadân) et le pèlerinage (hajj) sont également tributaire de la sunna pour être accompli dans leur forme.

L’abrogation du Coran par la sunna ?

La question de l’abrogation du Coran par la Sunna fait l’objet de divergences importantes. Plusieurs catégories de hadith sont à considérer.

La première est celle des hadith mutawâtir (transmis par de nombreuses chaines de garants). C’est à dire le plus haut niveau de fiabilité. A ce niveau, les savants sont partagés en deux groupes. Certains comme l’imam Mâlik, ainsi que les hanafites et la plupart des théologiens considèrent que le Coran et la sunna procèdent tous les deux d’une révélation. Ils se fondent notamment en cela sur le verset coranique « Il ne parle pas [motivé] par la passion. c’est une révélation qui lui est inspirée. » (Coran 53,3), ainsi que sur la parole prophétique suivante : « Certes, il m’a été donné le Coran et autant avec lui. »

D’autres comme L’imam shâfi’i et l’imam Ahmad, considère que le rôle du Prophète se borne à expliciter la parole divine, sans y ajouter ou y retirer quoi que ce soit. Ils se fondent notamment sur le verset coranique suivant : « Nous avons fait descendre vers toi le Souvenir pour que tu expliques aux gens ce qui a été descendu vers eux… » (Coran 16, 44)

L’effort d’interprétation

L’effort d’interprétation ou l’avis personnel se divise en plusieurs catégories. Il y a d’abord l’avis personnel des compagnons et des successeurs. Ces avis, forment ce que l’on appelle le patrimoine textuel d’interprétation (al-ma’thur). Ils constituent donc une part importante de « l’exégèse par les textes ». Néanmoins, il s’agit bien à l’origine d’avis sur le texte dont il est difficile de connaitre les fondements. Et ces avis sont souvent contradictoires.

Le deuxième degré est celui de l’avis personnel des générations suivants sur les textes de référence : l’interprétation du Coran par lui-même, le hadith et les paroles de compagnons et de leurs successeurs. Il s’agit là, non pas de produire un avis nouveau, mais plutôt de départager ces textes et de donner un avis quant à leur hiérarchisation. C’est ainsi que procède al-Tabarî, bien qu’il soit généralement classé parmi les exégètes « par les textes » (bil-ma’thûr)

Le troisième niveau est celui de l’avis personnel indépendant des textes de références, c’est-à-dire de l’avis des prédécesseurs. C’est cette forme d’avis personnel qui fit, et fait toujours, l’objet de débats.

A suivre

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