Islâm, îmân, Iḥsân

إسلام Islâm

Le mot « islâm » revêt trois sens :

Il signifie tout d’abord « s’en remettre à quelqu’un ». Si cette rémission est consentante, il s’agit alors d’un « assentiment ». Dans un contexte de guerre, si cette rémission est obtenue en se défendant par les armes, on peut alors parler de « soumission ».

Il revêt ensuite le sens d’« adhésion à la paix ».

Il revêt enfin le sens de « consécration exclusive ».

Dans les exégèses, ces trois sens sont illustrés par des passages coraniques. Observez.

Premier sens

Après que tous deux s’en furent remis et qu’Abraham eut couché son fils le front contre terre, […] (37,103)

فَلَمَّا أَسْلَمَا وَتَلَّهُ لِلْجَبِينِ

Dis à ceux des Bédouins qui sont restés en arrière : « Vous serez bientôt appelés à des peuples très puissants : vous les combattrez ou ils se soumettront. » (48,16)

قُلْ لِلْمُخَلَّفِينَ مِنَ الْأَعْرَابِ سَتُدْعَوْنَ إِلَى قَوْمٍ أُولِي بَأْسٍ شَدِيدٍ تُقَاتِلُونَهُمْ أَوْ يُسْلِمُونَ (16)

Deuxième sens

Ô les croyants ! Entrez tous dans la paix (ou la pacification), et ne suivez point les pas du diable, car il est certes pour vous un ennemi déclaré. [2:208]

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا ادْخُلُوا فِي السِّلْمِ كَافَّةً وَلَا تَتَّبِعُوا خُطُوَاتِ الشَّيْطَانِ إِنَّهُ لَكُمْ عَدُوٌّ مُبِينٌ (208)

Et ne dites pas à celui qui vous offre la paix :  » Tu n’es pas croyant ! « , ceci pour obtenir un profit en ce bas monde. Il y a auprès de Dieu un abondant butin. Vous vous comportiez ainsi autrefois, mais Dieu vous a accordé Sa Grâce. Soyez donc perspicaces ! Certes, Dieu est bien instruit de ce que vous faites. (4,94)

وَلَا تَقُولُوا لِمَنْ أَلْقَى إِلَيْكُمُ السَّلَامَ لَسْتَ مُؤْمِنًا تَبْتَغُونَ عَرَضَ الْحَيَاةِ الدُّنْيَا فَعِنْدَ اللَّهِ مَغَانِمُ كَثِيرَةٌ كَذَلِكَ كُنْتُمْ مِنْ قَبْلُ فَمَنَّ اللَّهُ عَلَيْكُمْ فَتَبَيَّنُوا إِنَّ اللَّهَ كَانَ بِمَا تَعْمَلُونَ خَبِيرًا

Troisième sens

Dieu a cité comme parabole un homme appartenant à des associés se querellant à son sujet et un [autre] homme appartenant à un seul homme. (36,29)

ضَرَبَ ٱللَّهُ مَثَلاً رَّجُلاً فِيهِ شُرَكَآءُ مُتَشَاكِسُونَ وَرَجُلاً سَلَمًا لِّرَجُلٍ

Notons que ces trois sens ne sont pas exclusifs. Le concept d’islâm pourrait ainsi se résumer au fait de s’en remettre à la paix de manière exclusive.

Un hadith rapporté dans de nombreuses versions précise ce sens. On remarquera que dans la première version mentionnée ci-dessous, le texte dit « المسلمين », et dans la seconde « الناس ».

المسلمُ من سلِم المسلمون من لسانِه ويدِه

Le muslim est celui épargne les muslims  de sa langue et de sa main.

المسلمُ من سلم الناسُ من لسانه ويدهِ، والمؤمنُ من أمنه الناسُ على دمائهم وأموالهم

Le muslim est celui épargne les gens  de sa langue et de sa main. Et le mu’min est celui assure la sécurité des gens relativement à leurs sang et leurs bien.

Remarque: le verbe سَلِمَ signifie être sain et sauf/ épargné. Car c’est ce qu’assure la paix.

Quant à son sens global dans le Coran, il est indissociable de la notion de « دين قيّم », c’est-à-dire « la religion droite et immuable » selon les sens de sa racine et l’interprétation qu’en donne les commentateurs, voir par exemple Al-Râzî.

Observez.

Il tracé pour vous la voie, en fait de religion, de ce qu’Il avait prescrites à Noé, ainsi que ce que Nous t’avons révélé, et ce que nous avons prescrit à Abraham, à Moïse et à Jésus : qu’ils observent la religion et que vous ne vous divisiez pas à son sujet ! (42,13)

شَرَعَ لَكُمْ مِنَ الدِّينِ مَا وَصَّى بِهِ نُوحًا وَالَّذِي أَوْحَيْنَا إِلَيْكَ وَمَا وَصَّيْنَا بِهِ إِبْرَاهِيمَ وَمُوسَى وَعِيسَى أَنْ أَقِيمُوا الدِّينَ وَلَا تَتَفَرَّقُوا فِيهِ

Il a ordonné que vous n’adoriez que Lui. Telle est la Religion immuable (ou droite), mais la plupart des hommes ne savent pas. (12,40)

أَمَرَ أَلَّا تَعْبُدُوا إِلَّا إِيَّاهُ ذَٰلِكَ الدِّينُ الْقَيِّمُ وَلَٰكِنَّ أَكْثَرَ النَّاسِ لَا يَعْلَمُونَ

Tourne-toi vers la Religion, en pur croyant : la nature primordiale de Dieu, selon laquelle Celui-ci a créé les hommes. Pas de changement à la création de Dieu. Telle est la Religion immuable, mais la plupart des hommes ne savent pas. Revenez repentants vers Dieu, craignez-Le, acquittez-vous de la prière, et ne soyez pas au nombre des associateurs, de ceux qui ont scindé leur religion et ont formé des sectes, chaque faction se réjouissant de ce qu’elle détient. (30,30-32)

فَأَقِمْ وَجْهَكَ لِلدِّينِ حَنِيفًا فِطْرَتَ اللَّهِ الَّتِي فَطَرَ النَّاسَ عَلَيْهَا لَا تَبْدِيلَ لِخَلْقِ اللَّهِ ذَلِكَ الدِّينُ الْقَيِّمُ وَلَكِنَّ أَكْثَرَ النَّاسِ لَا يَعْلَمُونَ (30) مُنِيبِينَ إِلَيْهِ وَاتَّقُوهُ وَأَقِيمُوا الصَّلَاةَ وَلَا تَكُونُوا مِنَ الْمُشْرِكِينَ (31) مِنَ الَّذِينَ فَرَّقُوا دِينَهُمْ وَكَانُوا شِيَعًا كُلُّ حِزْبٍ بِمَا لَدَيْهِمْ فَرِحُونَ (32)

Dis :  » Certes, Mon Seigneur m’a dirigé sur une voie droite, une religion immuable, la religion d’Abraham, un pur croyant (hanîf), qui ne fut pas un associateur « . (6,61)

قُلْ إِنَّنِي هَدَانِي رَبِّي إِلَى صِرَاطٍ مُسْتَقِيمٍ دِينًا قِيَمًا مِلَّةَ إِبْرَاهِيمَ حَنِيفًا وَمَا كَانَ مِنَ الْمُشْرِكِينَ (161)

O mes deux compagnons de prison ! Une multitude de maîtres séparés vaut-elle mieux qu’Allâh, le Dieu unique, l’Invincible ? Ceux que vous adorez en dehors de Lui ne sont que des noms que vous et vos pères leur avez donnés sans que Dieu vous délègue un pouvoir quelconque à ce sujet. De fait, le jugement n’appartient qu’à Dieu. Il a ordonné que vous n’adoriez que Lui. Telle est la Religion immuable, mais la plupart des hommes ne savent pas. (12,39-40)

يَا صَاحِبَيِ السِّجْنِ أَأَرْبَابٌ مُتَفَرِّقُونَ خَيْرٌ أَمِ اللَّهُ الْوَاحِدُ الْقَهَّارُ (39) مَا تَعْبُدُونَ مِنْ دُونِهِ إِلَّا أَسْمَاءً سَمَّيْتُمُوهَا أَنْتُمْ وَآبَاؤُكُمْ مَا أَنْزَلَ اللَّهُ بِهَا مِنْ سُلْطَانٍ إِنِ الْحُكْمُ إِلَّا لِلَّهِ أَمَرَ أَلَّا تَعْبُدُوا إِلَّا إِيَّاهُ ذَلِكَ الدِّينُ الْقَيِّمُ وَلَكِنَّ أَكْثَرَ النَّاسِ لَا يَعْلَمُونَ (40)

إيمان Îmân

Ce terme revêt deux sens qu’on ne peut réellement dissocier. Le premier est le sens initial donné par la racine, c’est-à-dire « le fait de sécuriser », « d’être digne de la confiance placée en soi » ou « d’être loyal et sûr relativement à ses engagements ». C’est ce premier sens que l’on déduit des passages ci-dessous (ainsi que de la seconde partie du hadith mentionné plus haut). Observez :

A cause du pacte des Quraïsh, de leur pacte [concernant] les voyages d’hiver et d’été. Qu’ils adorent donc le Seigneur de cette Maison (la Kaaba). Qui les a nourris contre la faim et sécurisé contre la crainte ! (106,1-4)

لِإِيلَافِ قُرَيْشٍ (1) إِيلَافِهِمْ رِحْلَةَ الشِّتَاءِ وَالصَّيْفِ (2) فَلْيَعْبُدُوا رَبَّ هَذَا الْبَيْتِ (3) الَّذِي أَطْعَمَهُمْ مِنْ جُوعٍ وَآمَنَهُمْ مِنْ خَوْفٍ (4)

C’est Lui, Dieu. Nulle divinité que Lui ; Le Souverain, le Pur, L’Apaisant, Le sûr, le Prédominant, Le Tout Puissant, Le Contraignant, L’Orgueilleux. Gloire à Dieu ! Il transcende ce qu’ils Lui associent. (59,23)

هُوَ اللَّهُ الَّذِي لَا إِلَهَ إِلَّا هُوَ الْمَلِكُ الْقُدُّوسُ السَّلَامُ الْمُؤْمِنُ الْمُهَيْمِنُ الْعَزِيزُ الْجَبَّارُ الْمُتَكَبِّرُ سُبْحَانَ اللَّهِ عَمَّا يُشْرِكُونَ (23)

Le second est celui de foi ou de croyance, comme dans les passages ci-dessous :

Ceux qui croient en l’invisible et s’acquittent de la prière et dépensent [en aumônes] une part de ce que Nous leur avons accordé. (2,3)

الَّذِينَ يُؤْمِنُونَ بِالْغَيْبِ وَيُقِيمُونَ الصَّلَاةَ وَمِمَّا رَزَقْنَاهُمْ يُنْفِقُونَ

L’Envoyé a cru à ce qui est descendu sur lui venant de son Seigneur, et les croyants de même. Chacun croit en Dieu, en Ses anges, en Ses Livres et en Ses envoyés. Nous n’établissons pas de distinction entre Ses envoyés. Ils ont dit :  » Nous avons entendu et nous avons obéi. Ton pardon, notre Seigneur ! Et vers Toi est le retour final ! (2,285)

آمَنَ الرَّسُولُ بِمَا أُنزِلَ إِلَيْهِ مِن رَّبِّهِ وَالْمُؤْمِنُونَ كُلٌّ آمَنَ بِاللّهِ وَمَلآئِكَتِهِ وَكُتُبِهِ وَرُسُلِهِ لاَ نُفَرِّقُ بَيْنَ أَحَدٍ مِّن رُّسُلِهِ وَقَالُواْ سَمِعْنَا وَأَطَعْنَا غُفْرَانَكَ رَبَّنَا وَإِلَيْكَ الْمَصِيرُ

Dans d’autre passages, il est plus difficile de dissocier ces deux sens. Observez.

Les pires des créatures vivantes devant Dieu, ce sont ceux qui font acte d’improbité (ou de dénégation, ou d’ingratitude) en sorte qu’ils ne sont pas digne de la confiance qui leur est accordée (ou ne croient pas) : ceux d’entre eux avec qui tu conclus un pacte et qui, ensuite, violent leurs engagements en toute occasion et ne sont pas attentionnés.  (8,55-56)

إِنَّ شَرَّ الدَّوَابِّ عِنْدَ اللَّهِ الَّذِينَ كَفَرُوا فَهُمْ لَا يُؤْمِنُونَ (55) الَّذِينَ عَاهَدْتَ مِنْهُمْ ثُمَّ يَنْقُضُونَ عَهْدَهُمْ فِي كُلِّ مَرَّةٍ وَهُمْ لَا يَتَّقُونَ (56)

Quiconque renie (ou rejette) les faux dieux (ou les tyrans/rebelles), et est loyal envers Dieu (et croit), s’est agrippé à l’anse la plus solide. (2,256) (2,256)

لَا إِكْرَاهَ فِي الدِّينِ قَدْ تَبَيَّنَ الرُّشْدُ مِنَ الْغَيِّ فَمَنْ يَكْفُرْ بِالطَّاغُوتِ وَيُؤْمِنْ بِاللَّهِ فَقَدِ اسْتَمْسَكَ بِالْعُرْوَةِ الْوُثْقَى لَا انْفِصَامَ لَهَا وَاللَّهُ سَمِيعٌ عَلِيمٌ

La question qui se pose alors est celle du lien entre la loyauté et la foi. Cette dernière serait le prolongement d’une forme de probité par rapport au dépôt confié « أمانة », que l’on associe généralement à la conscience. Autrement dit, dans le contexte coranique, la conscience semble conduire naturellement à la foi. C’est pour toutes ces raisons que Maurice Gloton traduisait le mot « مؤمن » par « celui qui met en œuvre le dépôt confié ».

Il est vrai que le Coran donne un prolongement « opératif » à cet « إيمان ». Observez.

Ceux qui accomplissent la prière et dépensent [en aumônes] une part de ce que Nous leur avons dispensé. Ceux-là, véritablement, sont les loyaux (ou croyants). (8,3-4)

الَّذِينَ يُقِيمُونَ الصَّلاَةَ وَمِمَّا رَزَقْنَاهُمْ يُنفِقُونَ * أُوْلَئِكَ هُمُ الْمُؤْمِنُونَ حَقًّا

Bienheureux sont les loyaux (ou croyants) ! Ceux qui font acte d’humilité dans leurs prières ; ceux qui évitent les vains propos ; ceux qui pratiquent l’aumône ; ceux qui se gardent d’avoir des rapports sexuels, sauf avec leurs épouses et leurs concubines ; on ne peut alors les blâmer, (23,1-6)

قَدْ أَفْلَحَ الْمُؤْمِنُونَ (1) الَّذِينَ هُمْ فِي صَلَاتِهِمْ خَاشِعُونَ (2) وَالَّذِينَ هُمْ عَنِ اللَّغْوِ مُعْرِضُونَ (3) وَالَّذِينَ هُمْ لِلزَّكَاةِ فَاعِلُونَ (4) وَالَّذِينَ هُمْ لِفُرُوجِهِمْ حَافِظُونَ (5) إِلَّا عَلَى أَزْوَاجِهِمْ أَوْ مَا مَلَكَتْ أَيْمَانُهُمْ فَإِنَّهُمْ غَيْرُ مَلُومِينَ (6)

Certes, les loyaux (ou croyants) sont ceux dont les cœurs frémissent lorsque le Nom de Dieu est mentionné, ceux dont la foi augmente lorsqu’on leur récite Ses versets, et ceux qui s’en remettent à leur Seigneur, (8,2)

إِنَّمَا الْمُؤْمِنُونَ الَّذِينَ إِذَا ذُكِرَ اللهُ وَجِلَتْ قُلُوبُهُمْ وَإِذَا تُلِيَتْ عَلَيْهِمْ آَيَاتُهُ زَادَتْهُمْ إِيمَانًا وَعَلَى رَبِّهِمْ يَتَوَكَّلُونَ

إحسان Ihsân

Le troisième de ces termes est plus facile à cerner. Il signifie littéralement « le fait de bien agir ». On peut donc le traduire pas « bienfaisance » ou « excellence ».

Les deux passages ci-dessous montre bien le sens de ce concept. Le premier dans un contexte profane, le second dans un contexte religieux.

Il a été bon envers moi lorsqu’Il m’a fait sortir de prison. (12,100)

وَقَدْ أَحْسَنَ بِي إِذْ أَخْرَجَنِي مِنَ السِّجْنِ

Assurément, ceux qui croient et accomplissent de bonnes œuvres verront que Nous ne laissons pas perdre la récompense de quiconque agit bien. (18,30)

إِنَّ الَّذِينَ آمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ إِنَّا لَا نُضِيعُ أَجْرَ مَنْ أَحْسَنَ عَمَلًا

Dans le passage ci-dessous, cette « bienfaisance » apparaît comme l’aboutissement d’un cheminement, comme le présente la tradition. Voyez.

Sur ceux qui sont loyaux et font de bonnes œuvres, il n’est point de grief en ce qu’ils ont consommé [d’illicite avant leur prohibition] s’ils sont attentionnés et loyaux (ou croyants) et font de bonnes œuvres ; puis, s’ils se montrent attentionnés et loyaux ; puis, s’ils se montrent attentionnés et bienfaisants. Car Allah aime les bienfaiteurs. (5,93)

 

لَيْسَ عَلَى الَّذِينَ آمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ جُنَاحٌ فِيمَا طَعِمُوا إِذَا مَا اتَّقَوْا وَآمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ ثُمَّ اتَّقَوْا وَآمَنُوا ثُمَّ اتَّقَوْا وَأَحْسَنُوا وَاللَّهُ يُحِبُّ الْمُحْسِنِينَ

Religion دِين ومِلّة

  

Le mot مِلّة n’est employé que relativement à un prophète particulier. On dit Ainsi « مِلّة إبراهيم » par exemple. Il s’agit donc de la religion communautaire prise dans son ensemble. C’est pourquoi, par extension, ce terme désigne aussi une communauté. Il me semble pertinent de le traduire par « culte » comme l’ont fait un certain nombre de traducteurs.

En revanche, s’agissant des individus, on dira « دين نبيل » par exemple. Le mot « دين » est donc employé pour la religion dans la singularité de chacun, que celle-ci soit vertueuse ou non. C’est pourquoi on dit aussi « فُلان حسن الدين » (untel est de bonne religion).

Lorsqu’en revanche le Coran parle de La Religion, comprise comme l’unique religion vraie, il s’agit alors de la religion droite et immuable « قَيِّم ». Mail cela fait alors référence à la part essentielle et intemporelle de la religion. C’est le sens du verset :

إِنَّ الدِّينَ عِندَ اللَّهِ الْإِسْلَامُ

La religion aux yeux de Dieu est l’Islam. (3,19)

وَمَنْ أَحْسَنُ دِينًا مِمَّنْ أَسْلَمَ وَجْهَهُ لِلَّهِ وَهُوَ مُحْسِنٌ وَاتَّبَعَ مِلَّةَ إِبْرَاهِيمَ حَنِيفًا وَاتَّخَذَ اللَّهُ إِبْرَاهِيمَ خَلِيلًا

Qui donc professe une religion plus belle que celui qui remet (paisiblement et exclusivement) son visage à Dieu, agit en bienfaiteur et suit le culte d’Abraham, un pur croyant, que Dieu a pris pour ami ? (4,125)

   

Âme et esprit روح ونَفْس

  

Les racines de ces deux mots évoquent le souffle, si bien que la plupart des commentateurs considèrent que la نفس n’est qu’une « coloration » ou un « assombrissement » du روح. Et il existe toute une controverse sur la question : l’esprit est-il une création ou non. Mais ces questions dépassent largement notre propos qui se veut exclusivement linguistique.

Notons donc que dans le Coran, le mot روح est présenté d’abord comme un mystère divin. Dans certains passages, il est présenté comme appartenant à Dieu. Il emploie en effet l’expression « Son esprit ». En d’autres lieu il est associé à Jésus ou à l’ange Gabriel.

Quant au mot نفس, il désigne en premier lieu « la personne » ou « l’individu ». Il peut s’agir de Dieu Lui-même. Il désigne ensuite les différents états de « l’âme ». Il est alors associé à des adjectifs.

وَيَسْأَلُونَكَ عَنِ الرُّوحِ قُلِ الرُّوحُ مِنْ أَمْرِ رَبِّي وَمَا أُوتِيتُمْ مِنَ الْعِلْمِ إِلَّا قَلِيلًا

Ils t’interrogent au sujet de l’Esprit. Dis :  » L’Esprit procède de l’ordre de mon Seigneur. Et il ne vous a été donné que peu de science ». (17,85)

ثُمَّ سَوَّاهُ وَنَفَخَ فِيهِ مِنْ رُوحِهِ

Puis Il l’a formé harmonieusement et Il a insufflé en lui de Son Esprit. (32,9)

تَعْلَمُ مَا فِي نَفْسِي وَلَا أَعْلَمُ مَا فِي نَفْسِكَ

Tu sais ce qu’il y a en ma personne, et je ne sais pas ce qu’il y a en Ta Personne. (5,116)

وَمَا أُبَرِّئُ نَفْسِي إِنَّ النَّفْسَ لَأَمَّارَةٌ بِالسُّوءِ إِلَّا مَا رَحِمَ رَبِّي

Je ne cherche cependant pas à m’innocenter, car l’âme incite fortement au mal, sauf [en] ce que mon Seigneur fait miséricorde. (12,53)

Intellect عَقْل

 

La racine de ce terme évoque également les « liens » et les « entraves ». Le عقل fait ainsi initialement référence à l’intelligence rationnelle : la capacité à faire des « liens » entre les choses et les concepts, ou à la faculté qui nous empêche de mal agir. Néanmoins, le Coran lui donne souvent un sens plus large, pour parler de l’intelligence spirituelle ou de raison consciente. On peut dans ce sens y voir la capacité de faire des liens relevant du spirituel, ou de se connecter soi-même au spirituel. Remarquons que cette racine n’apparaît que sous la forme verbale. (Voir aussi le chapitre « réfléchir » à l’unité suivante.)

كَانَ فَرِيقٌ مِنْهُمْ يَسْمَعُونَ كَلَامَ اللَّهِ ثُمَّ يُحَرِّفُونَهُ مِنْ بَعْدِ مَا عَقَلُوهُ وَهُمْ يَعْلَمُونَ

Une partie d’entre eux a entendait la Parole de Dieu, puis l’altérait sciemment après l’avoir comprise. (2,75)

أَفَلَمْ يَسِيرُوا فِي الْأَرْضِ فَتَكُونَ لَهُمْ قُلُوبٌ يَعْقِلُونَ بِهَا أَوْ آذَانٌ يَسْمَعُونَ بِهَا فَإِنَّهَا لَا تَعْمَى الْأَبْصَارُ وَلَكِنْ تَعْمَى الْقُلُوبُ الَّتِي فِي الصُّدُورِ

Que ne voyagent-ils sur la terre en sorte qu’ils aient des cœurs avec lesquels ils raisonnent, et des oreilles avec lesquelles entendre ? Car ce ne sont assurément pas les yeux qui s’aveuglent, mais ce sont les cœurs qui se trouvent dans les poitrines. (22,46)

Bonnes actions صالِحات وحَسَنات

  

Ces deux termes ont un usage très proche. On peut néanmoins faire remarquer que le mot « حسنة » s’emploie le plus souvent au singulier dans le Coran (2 fois au pluriel). Il est opposé au mot « سيّئة ». Sa racine signifie « beau », « bon ».

Quant au mot « صالحة » il n’est employé qu’au pluriel et généralement précédé du verbe « عمِل ». Sa racine évoque une chose « saine », « intègre », « en bon état ». Il n’a pas de contraire systématique, mais il peut être opposé à la racine « ف س د » (corrompu, dégradé, malsain) ; ou à la racine « س ي ء », comme pour le terme « حسنة ».

مَنْ جَاءَ بِالْحَسَنَةِ فَلَهُ عَشْرُ أَمْثَالِهَا وَمَنْ جَاءَ بِالسَّيِّئَةِ فَلَا يُجْزَى إِلَّا مِثْلَهَا

Celui qui se présentera avec une bonne action en recevra dix fois l’équivalent, tandis que celui qui se présentera avec une mauvaise action ne sera rétribué que par son équivalent. (6,160)

إِنَّ الْحَسَنَاتِ يُذْهِبْنَ السَّيِّئَاتِ

Certes, les bonnes actions chassent les mauvaises. (11,114)

أَمْ نَجْعَلُ الَّذِينَ آمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ كَالْمُفْسِدِينَ فِي الْأَرْضِ أَمْ نَجْعَلُ الْمُتَّقِينَ كَالْفُجَّارِ

Traiterons-Nous ceux qui croient et qui font des œuvres pies comme ceux qui corrompent la terre ? Ou traiterons-nous ceux qui sont attentionnés comme les prévaricateurs ? (38,28)

وَمَا يَسْتَوِي الْأَعْمَى وَالْبَصِيرُ وَالَّذِينَ آمَنُوا وَعَمِلُوا الصَّالِحَاتِ وَلَا الْمُسِيءُ

L’aveugle et le voyant ne sont pas sur un pied d’égalité, pas plus que ne le sont ceux qui croient et accomplissent des bonnes œuvres et ceux qui font le mal. (40,58)

   

Mauvaises actions سَيِّئات

 

Ce terme désigne littéralement la « mauvaise » action. On retrouve sa racine dans le terme coranique سُوء, « le mal. »

إِنْ تَجْتَنِبُوا كَبَائِرَ مَا تُنْهَوْنَ عَنْهُ نُكَفِّرْ عَنْكُمْ سَيِّئَاتِكُمْ وَنُدْخِلْكُمْ مُدْخَلًا كَرِيمًا

Si vous évitez les plus graves [actions] qui vous sont interdites, Nous effacerons vos mauvaises actions et Nous vous introduirons en un lieu honorable. (4,31)

Guidance هُدى ورُشْد

  

Le mot رُشْد fait référence à une disposition intérieure saine permettant à l’individu de suivre le bon chemin.

Quant au mot هُدى, il fait référence à la guidance au sens large, que celle-ci vienne de soi ou de l’extérieur.

فَإِنْ آنَسْتُمْ مِنْهُمْ رُشْدًا فَادْفَعُوا إِلَيْهِمْ أَمْوَالَهُمْ

Si vous les sentez capables d’agir raisonnablement, remettez-leur les biens qui leur appartiennent. (4,6)

لَعَلِّي آتِيكُمْ مِنْهَا بِقَبَسٍ أَوْ أَجِدُ عَلَى النَّارِ هُدًى

Peut-être vous en rapporterai-je un tison ou trouverai-je grâce à ce feu une guidance ? (20,10)

Chemin

سُنّة

مِنْهاج

شِرْعة

سبيل

سِراط

طريق

طريق : Ce terme désigne un chemin ou une route avec une acception très large. Sa racine « طرَق » signifie frapper (à la porte notamment). Le mot طريق viendrait donc, selon certains, du fait qu’on foule (ou frappe) des pieds la route.

صِراط : Pour les uns, ce mot est l’équivalent de طريق, mais certains précisent qu’il s’agit d’un chemin bien frayé et facile. Dans le coran, il est toujours employé dans un sens positif. Sa racine, س ر ط, signifie « avaler », et certains ajoutent que ce terme vient à l’origine du fait que le chemin « avale » ceux qui l’empruntent. Il me semble néanmoins que de tels rapprochement sont très hasardeux et procède parfois d’une tendance à forcer la correspondance des termes de même racine.

Attention : son écriture la plus courante est bien صِراط, mais certaines lectures du Coran l’écrivent aussi سِراط, ce qui correspond à la forme originelle du mot, conformément à sa racine. L’écriture avec le ص, vient du fait que le س est emphatisé en raison de la proximité du ط.

سبيل : Souvent utilisé pour désigner des petits chemins. Il est aussi communément employé au sens figuré dans diverses expressions. Il peut signifier « une voie », « une cause », « un expédient » ou une « manière ».

شِرْعة/ شَرِيعة :  la racine شرَع évoque le fait d’aller, ou de se mettre en chemin sur la route conduisant au point d’eau, et il symbolise par suite la voie du salut, car il n’est de salut sans eau. Par ailleurs, du fait que nul ne peut se passer d’eau, il s’agit par extension d’un chemin large et emprunté par tous.

مِنْهاج : Si l’on s’en tient au sens de sa racine, ce mot évoque un chemin bien frayé et clair.

سُنّة  : Ce mot vient du mot « سَنّ » qui désigne la circulation aisée d’une chose, comme l’eau. Il désigne la « conduite » ou la « façon d’être » des individus. Il peut aussi signifier le « parcours ». On dit ainsi « suivre la سنّة » comme on dit « suivre les pas » de quelqu’un en français. C’est par extension la « tradition ».

Interprétation تُفْسِير وتَأْوِيل

  

Le Coran emploie ces deux termes pour parler d’interprétation. Pour en rendre le sens, le français est partagé entre plusieurs traduction : « commentaire », « interprétation », « exégèse », « herméneutique ».

Il est assez difficile de les distinguer, et il est vrai que dans certains passages du Coran, les deux termes semblent équivalents. Observez :

وَلَا يَأْتُونَكَ بِمَثَلٍ إِلَّا جِئْنَاكَ بِالْحَقِّ وَأَحْسَنَ تَفْسِيرًا

« Ils ne se présentent à toi avec une quelconque allégorie sans que Nous t’apportions la vérité et une meilleure interprétation. » (25,33)

وَأَوْفُوا الْكَيْلَ إِذَا كِلْتُمْ وَزِنُوا بِالْقِسْطَاسِ الْمُسْتَقِيمِ ذَلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلًا

Lorsque vous mesurez, remplissez la mesure et pesez avec la balance juste. Cela est préférable, et de meilleure interprétation (ou conséquence). (35,17)

Etymologie

Sur le plan étymologique, disons d’abord que le mot تفسير signifie à l’origine la « dissipation du voile ». Quant au mot تأويل, il évoque un « renvoi à l’origine » ou au sens « premier » (أوّل). Le تأويل est le retour à l’écrit initial : c’est voir ce qui est écrit, et donc, ce qui va se produire ou retrouver la parole de Dieu initiale, c’est-à-dire, celle qui n’a pas pris la forme grossière du langage. Dans certains passages coraniques, ce mot prend parfois également le sens de « conséquence », « d’aboutissement » ou de « réalisation », ce qui constitue en soi une différence notable.

Dans le Coran

Le premier terme est mentionné une seule fois dans le Coran, dans le passage mentionné plus haut.

Le second est mentionné 17 fois dans le Coran. Il a tantôt clairement le sens « d’interprétation, tantôt clairement le sens de « conséquence ». D’autre fois, ces deux sens semblent convenir tout deux. Observez :

قَالَ هَذَا فِرَاقُ بَيْنِي وَبَيْنِكَ سَأُنَبِّئُكَ بِتَأْوِيلِ مَا لَمْ تَسْتَطِعْ عَلَيْهِ صَبْرًا (78)

Le Serviteur dit :  » C’est là que nous nous séparons. Je vais te donner l’explication des choses qui t’ont fait perdre patience. (18,78)

أَمْ يَقُولُونَ افْتَرَاهُ قُلْ فَأْتُوا بِسُورَةٍ مِثْلِهِ وَادْعُوا مَنِ اسْتَطَعْتُمْ مِنْ دُونِ اللَّهِ إِنْ كُنْتُمْ صَادِقِينَ (38) بَلْ كَذَّبُوا بِمَا لَمْ يُحِيطُوا بِعِلْمِهِ وَلَمَّا يَأْتِهِمْ تَأْوِيلُهُ

Ou bien ils disent : «Il (Muhammad) l’a inventé ? » Dis : « Composez donc une Sourate semblable à ceci, et appelez à votre aide qui vous pourrez, en dehors Dieu, si vous êtes véridiques». Bien au contraire : ils ont traité de mensonge ce qu’ils ne peuvent embrasser de leur savoir, et dont l’interprétation ne leur est pas encore parvenue. (10,38-39)

وَدَخَلَ مَعَهُ السِّجْنَ فَتَيَانِ قَالَ أَحَدُهُمَا إِنِّي أَرَانِي أَعْصِرُ خَمْرًا وَقَالَ الْآخَرُ إِنِّي أَرَانِي أَحْمِلُ فَوْقَ رَأْسِي خُبْزًا تَأْكُلُ الطَّيْرُ مِنْهُ نَبِّئْنَا بِتَأْوِيلِهِ إِنَّا نَرَاكَ مِنَ الْمُحْسِنِينَ (36) قَالَ لَا يَأْتِيكُمَا طَعَامٌ تُرْزَقَانِهِ إِلَّا نَبَّأْتُكُمَا بِتَأْوِيلِهِ قَبْلَ أَنْ يَأْتِيَكُمَا

Deux valets entrèrent avec lui en prison. L’un d’eux dit : « Je me suis vu [en rêve] pressant du vin… » Et l’autre dit : « Et moi, je me suis vu portant sur ma tête du pain que les oiseaux mangeaient. Informe-nous de l’interprétation (de ces rêves), nous te voyons au nombre des bienfaiteurs ».

« La nourriture qui vous est attribuée ne vous parviendra point, dit-il, sans que je ne vous aie avisés de son interprétation, avant, donc, qu’elle ne vous soit servie. (12,36-37)

هُوَ الَّذِي أَنْزَلَ عَلَيْكَ الْكِتَابَ مِنْهُ آيَاتٌ مُحْكَمَاتٌ هُنَّ أُمُّ الْكِتَابِ وَأُخَرُ مُتَشَابِهَاتٌ فَأَمَّا الَّذِينَ فِي قُلُوبِهِمْ زَيْغٌ فَيَتَّبِعُونَ مَا تَشَابَهَ مِنْهُ ابْتِغَاءَ الْفِتْنَةِ وَابْتِغَاءَ تَأْوِيلِهِ وَمَا يَعْلَمُ تَأْوِيلَهُ إِلَّا اللَّهُ وَالرَّاسِخُونَ فِي الْعِلْمِ يَقُولُونَ آمَنَّا بِهِ كُلٌّ مِنْ عِنْدِ رَبِّنَا

Il est Celui qui a fait descendre sur toi le Livre, [en son sein se trouvent] des versets explicites, lesquels sont la matrice du Livre, d’autres sont équivoques. Quant à ceux qui ont dans leur cœur une déviance, ils en suivent la part équivoque, aspirant à causer le trouble et d’en [donner] l’interprétation. Et ne connaît son interprétation que Dieu. Et ceux qui sont enracinés dans la science disent :  » Nous avons foi en Lui, tout vient de notre Seigneur ! « . (3,7) Et ne connaît son interprétation que Dieu et ceux qui sont enracinés dans la science, lesquels disent :  » Nous avons foi en Lui, tout vient de notre Seigneur ! « .

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا أَطِيعُوا اللَّهَ وَأَطِيعُوا الرَّسُولَ وَأُولِي الْأَمْرِ مِنْكُمْ فَإِنْ تَنَازَعْتُمْ فِي شَيْءٍ فَرُدُّوهُ إِلَى اللَّهِ وَالرَّسُولِ إِنْ كُنْتُمْ تُؤْمِنُونَ بِاللَّهِ وَالْيَوْمِ الْآخِرِ ذَلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلًا (59)      

ô les croyants ! Obéissez à Dieu, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement. Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-là à Dieu et au Messager, si vous croyez en Dieu et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleur interprétation (ou conséquence). (4,59)

وَلَقَدْ جِئْنَاهُمْ بِكِتَابٍ فَصَّلْنَاهُ عَلَى عِلْمٍ هُدًى وَرَحْمَةً لِقَوْمٍ يُؤْمِنُونَ (52) هَلْ يَنْظُرُونَ إِلَّا تَأْوِيلَهُ يَوْمَ يَأْتِي تَأْوِيلُهُ يَقُولُ الَّذِينَ نَسُوهُ مِنْ قَبْلُ قَدْ جَاءَتْ رُسُلُ رَبِّنَا بِالْحَقِّ

Nous leurs avons, certes, apporté un Livre que Nous avons détaillé, en toute connaissance, à titre de guide et de miséricorde pour les gens qui croient. Attendent-ils uniquement la réalisation (de Sa menace et de Ses promesses ?). Le jour où sa réalisation aura lieu, ceux qui auparavant l’oubliaient diront : « Les messagers de notre Seigneur sont venus avec la vérité. (7,52-53)

Sens terminologique

Dans la terminologie islamique, il est également très difficile de distinguer ces deux termes.

Le commentateur Abû Qâsim al-Nîsâbûrî (m. 1016) fait une remarque que l’on pourra juger d’excessif, mais qui résume bien la problématique : « Il y a à notre époque des exégètes excellents qui ne saurait dire la différence entre tafsîr et ta’wîl si on leur demandait. »

Pour ce faire une idée de l’emploi de ces termes dans un texte, il faut donc généralement connaitre la définition qu’en donne l’auteur du texte en question.

Le premier avis, Soutenu notamment par le célèbre compagnon Abû ‘Ubayda, est qu’il n’y a aucune différence entre ces deux termes. C’était du reste un avis très commun chez les premiers commentateurs.

Selon al-Râghib al-Isfahânî, le grand linguiste : « Le mot tafsîr est plus général que le mot ta’wîl. » Et il dit en résumé que le premier s’emploie surtout pour ce qui concerne le lexique, tandis que le second s’emploie pour la sémantique des phrases ou l’interprétation général, comme c’est le cas de l’interprétation des rêves. »

Selon Al-Maturîdi, le mot tafsîr s’emploie pour les interprétations certaines, et le mot ta’wîl pour les interprétations incertaines.

D’autres sont d’avis que le tafsîr concerne l’interprétation par les sources textuelles, tandis que le ta’wîl concerne l’interprétation par les sources de connaissances (c’est-à-dire de réflexion).

Al-Tha‘labi est d’avis que le premier concerne le sens propre, tandis que le second concerne le sens implicite ou figuré, qu’éclaire le contexte. Par exemple, dans le verset « Dieu est en embuscade », le mot « embuscade » n’est pas compris au sens propre et nécessite une réelle interprétation (ta’wîl).

C’est un peu vers le dernier avis qu’ont évolué les deux termes dans l’usage actuel.

Cet avis peut du reste être mis en rapport avec deux dualités pleinement coraniques : celle d’extérieur (ẓâhir) et d’intérieur (bâṭin) d’une part, et celle d’explicite (muḥkam) et d’équivoque (mutashâbih) d’autre part.

Sens théologique

Le mot ta’wîl est par ailleurs chargé d’un sens théologique qui déteint sur ce sens exégétique. En effet, s’agissant des attributs divins, exercer le taw’îl signifie donner un sens métaphorique aux attributs divins, ou simplement leur donner un sens secondaire. C’est par exemple interpréter l’amour de Dieu pas Sa « bienveillance ».

Création

بدَع ــَـ

ذرَأ ــَـ

فطَر ــُـ

برَأ ــَـ

أَنْشَأَ

خَلَقَ ــُـ

خَلَقَ : Le Coran emploie cette racine pour désigner la création à partir d’élément déjà existants. Je proposerais ici le terme « façonner » pour en traduire le verbe.

هُوَ الَّذِي خَلَقَكُم مِّن طِينٍ

Il est Celui qui vous a façonné d’argile. (6,2)

Faisons remarquer que ce verbe n’est pas nécessairement associé à Dieu. Le passage coranique ci-dessous laisse en effet entendre qu’il est d’usage pour d’autres que lui, même s’il ne s’agit pas alors d’une création de même nature.

فَتَبَارَكَ اللَّهُ أَحْسَنُ الْخَالِقِينَ

La racine de ce terme comporte l’idée de mesure. On dit ainsi « خلق الأديم » (mesurer le cuir) Lorsqu’on le mesure avant de le couper. Le mot coranique de même racine « خَلاق » (lot) revêt le même sens.

أَنْشَأَ : La racine de ce mot évoque l’élévation et la croissance. On emploie communément le verbe « نَشَأَ », de forme 1, dans le sens de « être élevé ». La forme 4 « أَنْشَأَ » signifie donc à l’origine « faire croître » ou « élever ». Je proposerais ici le terme « faire croître » pour en traduire le verbe.

فَأَنْشَأْنَا لَكُمْ بِهِ جَنَّاتٍ مِنْ نَخِيلٍ وَأَعْنَابٍ

Par elle, Nous avons fait croître pour vous des jardins de palmiers et de vignes. (23,19)

Il prend par extension le sens de « créer ».

ثُمَّ خَلَقْنَا النُّطْفَةَ عَلَقَةً فَخَلَقْنَا الْعَلَقَةَ مُضْغَةً فَخَلَقْنَا الْمُضْغَةَ عِظَامًا فَكَسَوْنَا الْعِظَامَ لَحْمًا ثُمَّ أَنْشَأْنَاهُ خَلْقًا آخَرَ

Puis, de cette goutte, Nous avons façonné un caillot de sang ; Nous avons ensuite façonné du caillot une masse grumeleuse ; puis de cette masse Nous avons façonné des os ; Nous avons alors revêtu les os de chair. Après quoi Nous avons fait croître l’homme en une autre création. (23,14)

Il est aussi employé dans le sens de « commencer à faire qqch. »

بَرَأَ : Il est généralement admis que ce terme est un synonyme du verbe « خلق », et les nuances que certains auteurs évoquent entre les deux sont très disparates, voire contradictoires. Je reprendrais ici les éléments qui me semblent les plus pertinents.

La racine de ce verbe évoque la séparation, la rupture ou la coupure. Le mot « بَراءة » (innocence) peut ainsi être compris comme le fait d’être « coupé » de tout lien avec l’action sur laquelle porte l’accusation ; et le verbe « برِأ ــَـ » (être guéri) peut être compris comme « rompre avec la maladie ».  D’autres disent que le nom divin « بارِئ » désigne Celui qui tire une chose d’une autre, d’où l’idée de rupture ou de séparation. Dans la langue, le verbe « برَأ » s’applique généralement aux êtes vivants. Ce qui s’explique peut-être par le fait que les vivants sont issus des vivants. Le mot « بَرِيّة » évoque précisément les « créatures ». On dit que sa racine est à l’origine ب ر ء, mais que la hamza a disparu dans ce mot pour des raisons phonétique « d’allègement ».

Le nom بارِئ peut donc être compris comme celui qui tire les choses les unes des autres, ou Celui qui crée les êtres distincts les uns des autres. Je proposerais ici le terme « engendrer » pour traduire le verbe.

مَا أَصَابَ مِنْ مُصِيبَةٍ فِي الْأَرْضِ وَلَا فِي أَنْفُسِكُمْ إِلَّا فِي كِتَابٍ مِنْ قَبْلِ أَنْ نَبْرَأَهَا إِنَّ ذَلِكَ عَلَى اللَّهِ يَسِيرٌ

Aucune calamité ne survient sur la terre ou en vous-mêmes sans avoir été inscrite dans un Livre avant que Nous l’engendrions. C’est vraiment là chose facile pour Dieu ! (57,22)

فطَر ــُـ : La racine de ce verbe signifie « fendre » On l’utilise pour dire fendre le bois par exemple. On dit aussi « فطر النَبات », lorsque la plante fend la terre et sort. Le mot coranique فُطُور évoque aussi explicitement « les fentes » ou « les interstices ».

On peut donc dire que le Nom divin « فاطِر » est le créateur qui fait surgir le vivant ou qui génère une fente d’où surgit la création. Ce qui en fait symboliquement un nom éminemment masculin. Certains l’apparentent d’ailleurs à la racine indo-européenne que l’on retrouve dans le mot « pader » en persan, ou le mot « father » en anglais. Mais je n’ai rien trouvé sur ce possible lien lointain. Il est vrai que les termes liés à la famille sont parmi ceux qui évoluent le moins vite dans les langues. Mais ce point mériterait une recherche spécifique. Je proposerais ici le terme « faire surgir » pour traduire le verbe.

إِنِّي وَجَّهْتُ وَجْهِيَ لِلَّذِي فَطَرَ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضَ حَنِيفًا وَمَا أَنَا مِنَ الْمُشْرِكِينَ

Je tourne mon visage, en pur croyant, vers Celui qui a fait surgir les cieux et la terre, et je ne suis pas parmi les associateurs « . (6,79)

Cette racine donne également le mot فِطْرة , que l’on associe communément à la « nature primordiale ».

فَأَقِمْ وَجْهَكَ لِلدِّينِ حَنِيفًا فِطْرَتَ اللَّهِ الَّتِي فَطَرَ النَّاسَ عَلَيْهَا لَا تَبْدِيلَ لِخَلْقِ اللَّهِ ذَلِكَ الدِّينُ الْقَيِّمُ وَلَكِنَّ أَكْثَرَ النَّاسِ لَا يَعْلَمُونَ

Dresse ton visage au-devant de la Religion, en pur croyant, selon la nature dont Dieu a doté les hommes en les faisant surgir. La création de Dieu n’admet pas de changement. Telle est la Religion immuable, mais la plupart des hommes ne savent pas. (30,30)

ذرَأ ــَـ : la racine de ce verbe (qui n’est pas employée dans les noms divins), évoque l’apparence. Elle évoque aussi le fait de « répandre » ou « disséminer ». Le verbe « ذرَأ » signifie ainsi « créer » avec la nuance de « rendre manifeste (les créatures)», ou « de les multiplier et les répandre ». Je proposerais ici le terme « manifester » pour le traduire.

قُلْ هُوَ الَّذِي ذَرَأَكُمْ فِي الْأَرْضِ وَإِلَيْهِ تُحْشَرُونَ

Dis :  » C’est Lui qui vous a manifesté sur la terre et vers Qui vous serez rassemblés « . (67,24)

بدَع ــَـ : La racine de ce verbe évoque l’innovation comme cela apparaît clairement dans le mot « بِدْعة ». Il s’agit donc de la création sans précédent ou de « l’innovation ». Le nom divin « بديع » signifie donc le « Créateur innovant » ou « l’Innovateur » ou encore « le Concepteur ». Je proposerais ici le terme « concevoir » pour en traduire le verbe, et « concepteur » pour le nom.

بَدِيعُ السَّمَاوَاتِ وَالْأَرْضِ أَنَّى يَكُونُ لَهُ وَلَدٌ وَلَمْ تَكُنْ لَهُ صَاحِبَةٌ وَخَلَقَ كُلَّ شَيْءٍ وَهُوَ بِكُلِّ شَيْءٍ عَلِيمٌ

Concepteur des cieux et de la terre, comment aurait-Il un enfant, alors qu’Il n’a pas de compagne, alors qu’Il a créé toute chose et qu’Il connaît toute chose ? (6,101)

Le pardon

رأَف ــَـ

تاب/ يَتُوب

صفَح ــَـ

عَفا/ يَعْفو

غفَر ــِـ

رحِم ــَـ

رحِم ــَـ : La racine de ce verbe est également celle du mot « رَحِم » qui signifie « l’utérus ». Ce lui donne connotation maternelle très prégnante. Il s’agit « d’envelopper » de miséricorde. Ce qui d’ailleurs apparaît de manière métaphorique dans le texte coranique :

وَرَحْمَتِي وَسِعَتْ كُلَّ شَيْءٍ

Il se trouve que les deux Noms divins « رحمان » et « رحيم », tiennent une place prééminente dans le Coran du fait de leur emploie fréquent, même si les commentateurs sont partagés sur la question de la « بسملة » au début des sourates : fait-elle partie du Coran ou non ? (Question qui ne se pose pas relativement à la بسملة présente dans le texte de la sourate de « La fourmi ».) Puis ces deux noms divins apparaissent en de nombreux autres lieux. Le Premier est mis sur le même plan que le Nom « الله » dans le fameux passage :

قُلِ ادْعُوا اللَّهَ أَوِ ادْعُوا الرَّحْمَنَ أَيًّا مَا تَدْعُوا فَلَهُ الْأَسْمَاءُ الْحُسْنَى

Relativement à la création, c’est également ce Nom que l’on trouve dans le passage suivant :

تَنْزِيلًا مِمَّنْ خَلَقَ الْأَرْضَ وَالسَّمَاوَاتِ الْعُلَى (4) الرَّحْمَنُ عَلَى الْعَرْشِ اسْتَوَى (5)

A l’évidence, pour que la création demeure, il faut qu’à l’imperfection universelle des êtres créés supplée une tolérance absolue et tout aussi universelle de l’Être divin qui la pérennise. Ce qui éclaire le verset suivant :

وَلَوْ يُؤَاخِذُ اللَّهُ النَّاسَ بِمَا كَسَبُوا مَا تَرَكَ عَلَى ظَهْرِهَا مِنْ دَابَّةٍ

Si Dieu tenait rigueur aux gens de ce qu’ils accomplissent, Il n’épargnerait pas un seul des êtres se déplaçant à la surface [de la terre]. (35,45)

غفَر ــِـ لِـ : Ce verbe signifie également « voiler », « cacher » ou « recouvrir ». On dit par exemple « غفَرالشَيْب بالخِضاب », « (cacher les poils (et cheveux) blancs avec de la teinture (de henné) ». Il s’agit donc par extension de l’action de « couvrir les fautes », ou de les « dissimuler ».

قُلْ لِلَّذِينَ كَفَرُوا إِنْ يَنْتَهُوا يُغْفَرْ لَهُمْ مَا قَدْ سَلَفَ

Dis à ceux qui dénient que s’ils cessent, il leur sera passé sous silence ce qui est passé. (8,38)

عفا/ يعفو : Au sens le plus concret, ce verbe signifie « effacer », « s’effacer » ou « être dissimulé ». On dit par exemple « عفا الأثر » (la trace est effacée). Par extension, il signifie « effacer une faute », comme on dit « effacer l’ardoise » ou « passer l’éponge ».

Certains commentateurs précise que le عَفْو peut intervenir après la punition ou avant, alors que le غُفْران exclue d’emblée toute punition.

Sa racine évoque aussi d’idée « d’excédentaire », ou le « superflu », comme dans le passage coranique suivant :

وَيَسْأَلُونَكَ مَاذَا يُنْفِقُونَ قُلِ الْعَفْوَ

Ils te demandent ce qu’ils doivent dépenser. Dis-leur : « l’excédentaire ». (2,219)

Ces deux sens se rejoignent dans l’idée de faire grâce par grandeur d’âme, considérant les choses sans importance. C’est ce que qu’évoque le verset suivant :

وَإِنْ طَلَّقْتُمُوهُنَّ مِنْ قَبْلِ أَنْ تَمَسُّوهُنَّ وَقَدْ فَرَضْتُمْ لَهُنَّ فَرِيضَةً فَنِصْفُ مَا فَرَضْتُمْ إِلَّا أَنْ يَعْفُونَ أَوْ يَعْفُوَ الَّذِي بِيَدِهِ عُقْدَةُ النِّكَاحِ

Si vous les répudiez avant de les toucher, après l’assignation de la dot, alors la moitié de celle-ci [lui revient], à moins qu’elle ne vous en fasse grâce (ou se désiste gracieusement), elle ou celui qui l’a représentée au mariage. (2,237)

Enfin, le verbe عفا, peut signifier « devenir excédentaire » et donc « se multiplier et prospérer ». C’est ce dernier sens que l’on trouve dans le verset suivant :

ثُمَّ بَدَّلْنَا مَكَانَ السَّيِّئَةِ الْحَسَنَةَ حَتَّى عَفَوْا وَقَالُوا قَدْ مَسَّ آبَاءَنَا الضَّرَّاءُ وَالسَّرَّاءُ

Puis nous remplaçâmes le mal par le bien jusqu’à ce qu’ils devinrent prospères (ou nombreux) et dirent : « Nos pères ont déjà été touchés par la misère et le faste ». (7,95)

C’est du reste cette notion « d’excédentaire » qui explique pourquoi le mot « عَفْوًا » dans le langage courant peut signifier « pardon ! » ou « s’il vous plaît », car il s’agit dans le premier cas de passer sur ce qui ne compte pas beaucoup ; et dans le second cas d’accepter de faire quelque chose, considérant, par grandeur d’âme, que c’est peu de chose.

  صفَح ــَـ: La racine de ce verbe évoque le plat ou le côté d’une chose. Le mot صَفْح désigne ainsi la « joue » ou le « côté » d’un individu. Il désigne aussi la « feuille », la « page » ou le « plat » de l’épée.

L’expression « ونظر إِليه بصَفْحِ وجهه » signifie proprement « regarder du côté du visage ». On peut ainsi voir dans l’origine du verbe construit sur cette racine, le fait de détourner le regard d’une chose et donc lui « présenter la joue (ou le flanc) ». Par extension, il signifie « passer outre ».

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا إِنَّ مِنْ أَزْوَاجِكُمْ وَأَوْلَادِكُمْ عَدُوًّا لَكُمْ فَاحْذَرُوهُمْ وَإِنْ تَعْفُوا وَتَصْفَحُوا وَتَغْفِرُوا فَإِنَّ اللَّهَ غَفُورٌ رَحِيمٌ

Ô vous, les croyants ! Vos épouses et vos enfants sont pour vous des ennemis ! Prenez garde ! Si vous effacer [l’affaire], si vous passez outre, et si vous pardonnez, sachez que Dieu est celui qui pardonne et qui est miséricordieux. (64,14)

Dans le Coran, on trouve également l’expression « ضرَب صَفْحًا » dans le sens de « renoncer à faire quelque chose », ou plus trivialement « laisser tomber ».

أَفَنَضْرِبُ عَنْكُمُ الذِّكْرَ صَفْحًا أَنْ كُنْتُمْ قَوْمًا مُسْرِفِينَ

Allons-nous nous renoncer à vous adresser le Rappel sous prétexte que vous êtes un peuple outrancier ? (43,5)

تاب/ يَتوب : ce verbe signifie d’abord « revenir », ce qui le rapproche de « ثاب » et de « آب ». Il s’agit donc à l’origine de revenir à la bonne conduite, à la raison, etc. Employer avec « إلى », il signifie donc se repentir ; et employé avec « على », il signifie pardonner. Ces deux sens sont réunis dans le verset ci-dessous :

وَظَنُّوا أَن لَّا مَلْجَأَ مِنَ اللَّهِ إِلَّا إِلَيْهِ ثُمَّ تَابَ عَلَيْهِمْ لِيَتُوبُوا إِنَّ اللَّهَ هُوَ التَّوَّابُ الرَّحِيمُ

Ils pensaient qu’il n’existe aucun refuge contre Dieu, si ce n’est Lui-même. Dieu est alors revenu à eux, afin qu’ils reviennent à Lui. Dieu est Celui qui accueille tout repentir, le Clément. (9,118)

رأَف ــَـ : Ce verbe signifie avoir de la compassion pour quelqu’un notamment pour un fautif, comme c’est le cas dans le passage suivant :

وَلاَ تَأْخُذْكُمْ بِهِمَا رَأْفَةٌ فِي دِينِ اللهِ

Ne soyez point pris de compassion envers eux dans la religion de Dieu. (24,2)